Le panafricanisme, et si on en parlait ?

Article : Le panafricanisme, et si on en parlait ?
Crédit: Source image : réseau social X (Image libre de droits)
24 septembre 2023

Le panafricanisme, et si on en parlait ?

Depuis quelques années, le continent africain traverse une période sensible de son histoire. Une période marquée par des coups d’État successifs. En quatre ans, ce sont six pays du continent qui ont vu leurs leaders renversés, pour certains à plusieurs reprises. C’est le cas du Gabon (2023), du Niger (2023), mais aussi du Burkina Faso (deux putchs en 2022), de la Guinée (2021), du Mali (2020 et 2021) et du Soudan (2019). À chaque coup de force, un mot revient sur toutes les lèvres : le panafricanisme. Un mot dont l’origine remonte au XIXe siècle, et dont la force transcende les frontières de l’Afrique. Mais qu’est-ce que le panafricanisme exactement ? Comment est née cette idéologie, quelle est son histoire et comment envisager le panafricanisme aujourd’hui, dans le contexte africain actuel ? Quelques questions que je développe dans cet article.

Nul doute, ce siècle est celui des bouleversements politiques en Afrique. Les coups d’État s’enchaînent au sein des anciennes colonies françaises. Des coups d’État adoubés par les peuples africains qui applaudissent les militaires peints en héros. Ce contexte politique nouveau, interroge l’avenir du continent et amène à se (re)poser la question de savoir ce qu’est le panafricanisme.
« Panafricanisme », un mot qui s’invite dans toutes les conversations en Afrique aujourd’hui. Un mot qui revient donc sur le devant de la scène. Un mot qui alimente les débats sur les réseaux sociaux, un mot qui est devenu une sorte de slogan politique incontournable et qui déchaîne les passions des plus radicaux.

Le panafricanisme c’est quoi?

Selon le dictionnaire Larousse, le panafricanisme est à la fois une doctrine et un mouvement de solidarité entre les peuples africains. Pour mieux cerner le concept du panafricanisme, un petit détour dans l’histoire s’avère indispensable. En effet, l’origine du panafricanisme remonte au XlX ème siècle. Ce concept est apparu après la révolution en Haïti, portée par Toussaint Louverture. Le panafricanisme est alors un mouvement politique et idéologique. Il vise à abolir l’esclavage et à s’affranchir du joug du colon français.

Toussaint Louverture
Crédit photo : Depositphotos

Bien des années plus tard, au XX ème siècle, ce mouvement né dans les Antilles trouve un écho favorable au sein de l’élite africaine. Une élite instruite et mécontente du système colonial. Les leaders d’alors, que rien n’effraie, sont décidés à en finir avec le paternalisme des puissances occidentales, et rêvent d’une Afrique forte et unie.

Vidéo datée du 23 octobre 2018. Bertrand Badie : « Les puissances coloniales ont étouffé le panafricanisme »


Né en 1909 dans un village du sud-ouest du Ghana, Kwame Nkrumah est considéré comme le précurseur du mouvement panafricaniste en Afrique. En 1960, il devient le premier président du premier État indépendant d’Afrique ( l’actuel Ghana ) et œuvre pour la création de l’Organisation de l’Union Africaine. Toutefois, ses idées jugées trop radicales ne feront pas long feu au sein de l’organisation. Vomi par son peuple pour l’échec de sa politique économique, Nkrumah est renversé par un putsch militaire en 1966, après cinq ans passés au pouvoir.

Kwame Nkrumah Memorial (Accra, Ghana)
Crédit photo : Pixabay

D’autres grands noms ont aussi marqué l’histoire du mouvement panafricaniste : Sékou Touré en Guinée, Patrice Lumumba en RDC (ex Zaïre), Cheikh Anta Diop au Sénégal, Thomas Sankara et Joseph Ki-Zerbo au Burkina Faso (ex Haute-Volta), ont tous laissé une marque indélébile sur le jeune continent. Leur mouvement a toujours inspiré beaucoup d’africains et d’afrodescedants. Mais à l’heure actuelle, en 2023, on peut dire que le panafricanisme revient en force dans les esprits.

Vidéo / A. Boukari-Yabara: « Le panafricanisme est une vision de la libération du continent africain » • RFI

Panafricanistes ou opportunistes ?

Kemi Seba, Nathalie Yamb et Franklin Nyamsi
Source : réseau social X (Image libre de droits)

Aujourd’hui, des activistes africains, omniprésents sur les réseaux sociaux, se sont emparés du concept de « panafricanisme ». Je pense à Kemi Seba, à Nathalie Yamb ou encore à Franklin Nyamsi… pour ne citer que ceux-là. Ces activistes, ennemis déclarés de la France, des puissances occidentales, des États Unis et du système des Nations Unies, sont adulés par la population africaine.

Emission « Appels sur l’actualité » le 24/07/2023 – RFI


Pour beaucoup d’africains (dont une majorité est issue de la région du Sahel), ces activistes sont les portes voix d’un concept et d’une lutte censés libérer l’Afrique : le panafricanisme. Ceux qui les suivent et les adulent sont souvent relativement jeunes. Pour la plupart, se sont des africains dans la fleur de l’âge, sans emploi et sans perspective d’avenir. Ils sont conscients des ressources naturelles dont disposent les États africains et ils ne conçoivent tout simplement pas le sous-développement du continent. Un sous-développement dû, selon eux, à la Françafrique et à ses corollaires. À juste titre, beaucoup d’africains désabusés et réduits au silence par les dirigeants, se retrouvent dans leur vision.
Pour l’autre partie des africains, ces activistes ne sont ni plus ni moins que des opportunistes et sous-fifres de la Russie dont ils sont très proches. Ils sont accusés de servir la propagande russe sur le continent. Il leur est notamment reproché leur prise de position trop partisane à certaines occasions et leur silence sur certains sujets. À titre d’exemple, leur silence sur le processus de révision de la Constitution en Centrafrique et sur le probable troisième mandat du président Touadéra (grand ami du Kremlin), laisse planer un doute sur leurs réelles motivations. En outre, ce qui fâche encore plus est que ces activistes n’admettent pas vraiment les points de vue divergents sur leurs différentes pages de réseaux sociaux. Ils n’hésitent pas à bloquer au passage ceux dont les commentaires sont jugés indésirables ou contradictoires. Avec eux, pas de place à la pluralité des points de vue.

Lire aussi

Coups d’État en Afrique, la saignée continue

Une vision nouvelle qui divise les africains 

Une chose est frappante dans toute cette agitation qui secoue actuellement l’Afrique francophone : la lutte portée par ces activistes contribue d’avantage à diviser nos peuples qu’à les unir. Il ne pourrait d’ailleurs en être autrement au regard du caractère incendiaire des publications de ces activistes sur les réseaux sociaux.

Les africains sont donc divisés. Aujourd’hui, on voit d’un côté ceux qui pensent que la libération du continent viendra par des coups d’État, mais d’un autre côté, il y a ceux qui pensent que les coups d’État retardent le développement du continent. Au milieu, on retrouve ceux qui, comme moi, ne sont pas pour les putschs, mais qui pensent malgré tout que, face à des pouvoirs autocratiques et despotiques, les putschs sont parfois les seules alternatives possibles…

Dans le fond, nous sommes tous panafricains car nous aimons notre continent et aspirons à l’unité de nos peuples. De ce fait, nous n’avons pas vraiment besoin de tous ces discours propagandistes sur les réseaux sociaux, qui frisent la manipulation politique, ceux-là même qui enveniment notre vivre ensemble. Les hôpitaux sans matériels, le système éducatif défaillant, le chômage, la faim, sont des choses qui révolteraient n’importe qui. Certes, avoir besoin d’un visa pour se rendre dans un autre pays africain est révoltant. Et oui, le manque d’intérêt des africains pour les produits fabriqués ici et pour notre culture est pour le moins déroutant. Toutes ces réalités sont autant de choses qui fâchent. D’où l’urgence, dans le contexte mondial actuel particulier (qui rappelle étrangement la guerre froide), de penser au futur de notre continent. D’autant que le panafricanisme dans sa forme actuelle, est une aubaine pour les régimes autoritaires qui surfent sur la vague pour s’accrocher au pouvoir. En définitive, l’heure n’est plus aux discours creux sur fond de panafricanisme, mais à l’action.

Il faut penser le futur des générations à venir pour que cesse le drame de la Méditerranée.
crédit photo : Pixabay
Partagez

Commentaires

Sibani Claude
Répondre

Aimé, j'ai lu ton article suite au conseil de notre ami commun William. Tu fais une bonne analyse, tu es très conscient des problèmes, et de la manière dont la Russie agit insidieusement pour manipuler la population oisive et peu informée. Tu conclus par "l'heure est à l'action", mais qu'entends tu par là. Quelques sont pour toi les priorités, et le meilleur moyen d'y parvenir. ? Les deux premières priorités pour moi semblent être la lutte contre le Djihadisme et l'autosuffisance alimentaire. Pour celle ci il ne s'agit pas de produire toute l'alimentation sur le sol Africain, mais de pouvoir au moins acheter ce que vous ne cultiver pas en le payant avec ce que rapporterait la vente des surplus d'autres aliments produits sur place. La lutte contre les Djihadistes aurait besoin de l'unité des armées Africaines car ceux ci franchissent les Frontières pour se réfugier dans le pays d'à côté dès qu'ils sont poursuivis. Donc il faut les prendre en cisailles entre plusieurs armées. Pour en arriver là il est nécessaire de redéfinir vos accords avec l'Occident et la Chine et installer des dirigeants capables et honnêtes, tout en les surveillant en permanence. Bon j'arrête là car j'ai déjà utilisé beaucoup de place, peux tu répondre à ce que tu entends par le mot action?

Aimé DA CRUZ
Répondre

Salut Claude.
Je tiens avant tout à te dire merci pour l’intérêt que tu accordes à mes articles et pour ton apport.
Le mot "action" à la fin de l’article, est mis pour mettre l’accent sur le rôle d’artisan du développement que doivent jouer tous ceux qui se revendiquent panafricanistes (les activistes y compris). Beaucoup se contentent juste de beaux discours, ça ne nous aide en rien.